Dialogue de la vie et livre-testament

Le Messie et son Prophète

Aux origines de l'Islam

« Dialogue de la vie » et livre-testament d’Antoine Moussali

recension : Sept nuits avec un ami musulman (éditions de Paris, 2001, 159 pages, 19 €)

Par rapport aux rares livres de référence qui avaient été publiés avant l’écroulement des deux tours du World Trade Center en septembre 2001 (ce livre-testament est lui aussi antérieur), l’approche d’Antoine Moussali ( 2003) est celle d’un chrétien qui a passé sa vie en lien avec des amis musulmans – il faudrait presque écrire : en liens avec eux. Par comparaison, des livres tels que le témoignage d’Ibn Warraq, Pourquoi je ne suis pas musulman (Genève, l’Âge d’Homme, 1999), ou celui du prix Nobel de littérature 2001, V.S. Naipaul, Crépuscule sur l’Islam. Voyage aux pays des croyants (Paris, Albin Michel, 1981) étaient d’une nature toute autre. Il faut mentionner aussi le livre méritoire de Mohamed Charfi, Islam et liberté (Paris, Albin Michel, 1998), entre autres pour ce qu’il révélait de l’endoctrinement des enfants à travers les manuels scolaires en usage au Maghreb, ce qui n’a guère changé depuis ce temps-là.

         Rédigé à l’occasion de ses quatre-vingt ans, Sept nuits avec un ami musulman résume toute une vie consacrée au dialogue vrai ; ce livre vient après deux publications en français (et beaucoup d’autres en arabe) : La croix et le croissant (mêmes éditions, 1997) – livre qui a reçu le prix de l’Académie d’Education et d’Etudes sociales en 1998 et qui est devenu une référence en matière de dialogue islamo-chrétien[1] –, et Judaïsme, christianisme, islam (2000) qui aborde par thème les positions de chacune des trois religions.

         Le Père Moussali est d’origine libanaise. Il a passé vingt ans en Syrie comme directeur des établissements scolaires lazaristes, puis seize années en Algérie où il a été l’un des responsables du dialogue islamo-chrétien. La guerre civile l’a conduit à quitter pour la France ce pays où il était trop connu ; c’est d’ailleurs l’objet de la "septième nuit", la dernière rencontre avec un ami musulman, qui est un adieu. Un petit paragraphe résume sans doute la démarche de toute la vie de l’auteur, qui a toujours été une approche du cœur :

Ainsi, dans ces conversations de cœur à coeur, dans un esprit et un cœur ouverts, nous apprenions à mieux nous connaître. Cela ne changeait rien à ce que nous étions les uns et les autres. Et il était bon qu’il en fût ainsi ! On avait appris à nous apprivoiser mutuellement. Que dis-je ? A nous estimer mutuellement, à nous aimer !” (p.106).

L’auteur, qui est en mesure de comprendre les musulmans presque de l’intérieur – le cœur y est pour beaucoup – nous aide à entrer dans leur mentalité ; certes dans les livres précédents, plus systématiques et théoriques, cette dimension n’était pas absente, mais ici, à travers le souvenir de souvenirs, c’est à un véritable dialogue de personne à personne que nous sommes conviés.

         C’est l’occasion de préciser ce qu’il faut entendre par « dialogue ». L’auteur distingue avec beaucoup d’insistance quatre “niveaux de dialogue” (p.15-18). D’abord celui de la vie, la convivialité : il l’a vécue au Liban tous les jours comme enfant et adolescent, en accueillant l’autre, chrétien ou musulman ; ensuite, il y a le dialogue associatif, là où certains intérêts humains communs sont en jeu. Il y a aussi le dialogue spirituel, celui qui rapproche les hommes en tant que priants, comme on l’a vu à Assise, mais qui ne mène pas pour autant à prier ensemble ; le Père Moussali donne l’exemple de l’impossibilité pour un chrétien de prier la Fâtiha sans se renier, ou inversement pour un musulman de prier le Notre Père – puisque, dans l’optique musulmane, il est impensable que Dieu s’abaisse à être un père pour nous (p.77 ; 92s).

         Il y a enfin le dialogue théologique, qui constitue une impasse dont il faut prendre acte, mais qui ne rend pas caduque pour autant les autres niveaux de rencontre.

         Sur la situation en Palestine/Israël, l’auteur met en lumière l’opposition radicale de deux conceptions pyramidales et totalitaires ; au sommet de l’une comme de l’autre
  
trône Dieu ; après Dieu viennent les interprétateurs de la volonté de Dieu et, après eux, le pouvoir politique chargé de l’appliquer”,
  la volonté de Dieu étant contenue pour les uns dans la Torah (lue à la lumière des les Talmudîm), ou, pour les autres, dans le Coran (lu à la lumière de la Sunnah). Ceux qui suivent le pouvoir chargé d’appliquer la volonté de Dieu forment – comme l’indique le texte coranique – la “nation la meilleure qui ait été suscitée pour les hommes” (sour.3,110). Encore en-dessous enfin, on trouve « les autres », ceux qui ne font pas partie de la communauté choisie par Dieu sur ce monde : les deux pyramides sont semblables. “Ces deux visions sont inconciliables”, conclut l’auteur ; elles traduisent une “concurrence mimétique” que René GIRARD a mis en lumière comme facteur de violence (p.59-60). Cette analyse devrait faire réfléchir tous ceux qui, depuis le Moyen-Age jusqu’à MASSIGNON et TEILHARD en passant par Nicolas de CUSE, rêvent à de messianiques « lendemains qui chantent » en vertu d’une convergence universelle des religions.

         On peut signaler aussi des pages pénétrantes sur le problème de femmes (p.62-63 ; 79-82 etc.)[2]. Les pages sur l’éducation (p.123-128) méritent également d’être lues avec la plus grande attention.

         En fin de compte, ce livre présente le cœur de ce qui a fait toute la vie de l’auteur, insérée dans la réalité arabe et musulmane – une réalité qui est rarement rendue accessible au public francophone sous l’aspect du vécu. Son retour à Dieu en 2003 laisse un manque en matière de « dialogue ».

                                                                         
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[1]  Parmi les lecteurs, beaucoup de chrétiens ont apprécié l’exposé trop rare que le livre donne à propos du mystère de la Vie trinitaire en Dieu – il est abordé en réponse aux objections du discours islamique (chap.2 : Face à Dieu).

[2]  Une erreur de français s’est malheureusement glissée à la page 95 où l’auteur, voulant dire "couple de deux êtres", a tapé bigamie (à la place de monogamie).