La profession de foi islamique : origines oubliées

Le Messie et son Prophète

Aux origines de l'Islam

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La profession de foi islamique : origines oubliées

            La profession de foi islamique ou šahâdah (« Je professe [ašhâdu] qu’il n’y a pas de divinité sinon Dieu et que Muhammad est son prophète ») est le fruit d’une longue élaboration, et pas seulement parce qu’elle apparaît très tardivement : parce qu’elle est précédée par toute une histoire pré- et proto-islamique. Ce second point est beaucoup moins connu des islamologues.

Extrait de Le messie et son prophète, tome I

            Dans la note 827 (p.489), on lit :

« “E…j ™stin Ð Qeoj ka… plhn autou oÙk ™stin qeoj” [Il n’y a qu’un seul Dieu et, sauf Lui, il n’y a pas de Dieu], Hom. pseudoclém., 16, 7.9 : cette šahâdah est mise dans la bouche de Pierre ; les apologistes chrétiens accusant la gnose d’avoir Simon le Magicien comme père, celle-ci réplique ici en faisant nier la foi apostolique par Pierre et en attribuant à Simon les positions pauliniennes. »

Le contexte polémique d’une formule commençant négativement (« Il n’y a pas... sinon... ») ne fait aucun doute ; c’est ainsi qu'elle apparaît dans un texte que l’on date du IIIe siècle de notre ère (ou du IIe pour certaines parties). On peut penser qu’elle a été employée ici et là avant de se retrouver dans le Coran (6:102), évidemment dans un contexte polémique très ironique visant les mušrikun c’est-à-dire les chrétiens accusés « d’associer » (Jésus et l’Esprit Saint) à Dieu (cf. 5:106 et tous les chapitres du Messie... qui en parlent).

La réponse chrétienne à cette polémique largement pré-coranique (et notamment rabbinique) fut celle-ci : “E…j Qeoj ka… Cristoj qeoj”. Ces données se trouvent dans les § 2.6.1.2 et 2.6.1.3 du livre.

Les § suivants abordent les autres questions qui se posent :

2.6.2.1 L’absence du prophétisme de Muhammad (ou même de son nom)
– la partie « et Muhammad est son prophète n’apparaît pas avant 735 –
2.6.2.2 Deux attestations d’une šahâdah islamique trilitère
2.6.2.3 “Croyez en Dieu et en son Messie” : la šahâdah judéonazaréenne ?

Un complément apporté par Philippe Gignoux

Un article paru dans les Acta Iranica, Encyclopédie permanente des études iraniennes (XII, 1988, 403-406), “Les antécédants Nestoriens de la Chahada”, montre que même les chrétiens ont employé la formule de la première partie de la šahâdah islamique :

Philippe Gignoux écrit :
“Dans un texte encore plus ancien [que les
Pseudo-clémentines], le livre gnostique des « Secrets de Jean », que M. Tardieu date de la fin du second siècle de notre ère[1], je relève le passage suivant :

« … car il a été dit : ‘Je suis Dieu et il n’y a pas d’autre dieu en dehors de moi’, ignorant qu’il est de son assise, le lieu d’où il est venu »[2].

Dans des formulations un peu différentes, mais tout à fait parallèles, les Actes des martyrs perses nous fournissent un assez grand nombre d’attestations de la formule pré-islamique, sans doute à l’origine de la chahâda, dans des passages qu’on peut dater du 5e-6e siècles, ce qui n’a pas été relevé jusqu’ici à ma connaissance. Sans prétendre être exhaustif, je cite les exemples suivants [tirés de P. Bedjan, Acta martyrum et sanctorum, 7 vol., Paris, 1890-1897, vol. II, p. 346-347] :

w’lh ’ḥryn lbr mnh lyt ln [c’est-à-dire]
et il n’y a pas pour nous d’autre Dieu en dehors de Lui

dḥd hw ’lh’ wlyt ’ḥrn’ lbr mnh [c’est-à-dire]
Dieu est un et il n’y [en] a pas d’autre en dehors de Lui. Etc.

L’affirmation très monothéiste des Nestoriens [Gignoux veut dire : de l’Eglise de l’Orient des Assyro-Chaldéens] attestée dans ces formules, s’explique aisément face au Mazdéisme qui affichait au contraire largement son polythéisme, que lui reprochent les martyrs chrétiens” [3].

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[1] Note de l’auteur (Ph. Gignoux, p. 404) : “Codex de Berlin. Sources gnostiques et manichéennes I, Paris, éd. du Cerf, 1984, 43-46. D’autres auteurs, avant lui, dataient même l’ouvrage du début du second siècle : cf. M. Tardieu et J.-D. Dubois, Introduction à la littérature gnostique I, Collections retrouvées avant 1945, Paris, Ed. du Cerf/ Ed. du CNRS, 1986, 122-123.”

[2] Note de l’auteur (Ph. Gignoux, p. 405) : “Tardieu, Codex de Berlin, 111 §2”.

[3] Gignoux, p.405.

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